Annaba - Jamaâ El Bey, l'une des dernière réalisations de Salah bey
Salah Bey est présenté par ses biographes comme un personnage ambitieux et un administrateur hors pair. Salah Ben Mostafa, né à Smyrne (l'actuel Izmir en Turquie) vers 1725, arrive à Alger dès son jeune âge. Pour survivre, il vit de petits métiers avant de s'enrôler dans les rangs de l'armée. La personnalité singulière et les prouesses militaires du jeune Salah, notamment lors d'une compagne dans l'est du pays, impressionnèrent tellement le bey de Constantine, Ahmed El Qolli (1756-1771), qu'il le nomma Qaïd des Haractas (tribu arabe de l'Aurès). Fort d'un charisme naissant, Salah conquit l'estime et la confiance du bey au point que celui-ci lui accorde la main de sa fille et lui attribue le titre de Khalifa, son lieutenant et successeur potentiel. En 1771, au lendemain de la mort d'Ahmed bey El Qolli, le dey-pacha Mohamed Othmane consacre Salah Ben Mostepha nouveau bey de l'est algérien. Ainsi commence le beylicat de Salah bey qui gouverna Constantine et toute la province de l'est durant 21 ans, un record lorsqu’on sait que la plupart des deys et beys n’ont gouverné que quelques jours voire même quelques heures avant d'être assassinés. Administrateur habile, il maintiendra toute sa région dans un état de soumission absolue et fera respecter son autorité jusqu'à ses limites les plus éloignées. Le début de son règne, il le consacre en priorité à la pacification de l'est et sud-est algérien ainsi qu'à la soumission des tribus qui se refusent à toutes autorités. En 1773, il dirigea sa première expédition contre les Oueld Naïl, une grande tribu à la tête des mouvements de révoltes dans le sud algérois et le sud constantinois. Il surprit leurs campements, enleva un grand nombre de troupeaux et envoya à Alger 60 têtes et 400 paires d'oreilles humaines (une pratique courante à l'époque). Il fit également d'héroïques démonstrations de vaillances et de bravoures aux combats, notamment en 1775, lors de l'incursion des Espagnoles à Alger. En 1783, il prouva à nouveau ses talents de diplomatie en évitant de justesse une guerre imminente avec Hammouda le nouveau bey de Tunis en réglant courtoisement des conflits récurrents entre tribus frontalières algéro-tunisienne. Il entama également une compagne d'éradication du féodalisme et du maraboutisme malgré leurs caractères sacrés. Mais cette sanglante et vaine répression contribua à alimenter son impopularité au sein d'une partie de l'opinion qui lui était devenue hostile. Sur le plan administration de la province de l'est, les réalisations de Salah bey furent vécues par ses contemporains comme une véritable renaissance. Il fut l'un des rares gouverneurs à se préoccuper du bien-être de la population. Moderniste et bâtisseurs, il entrepris dans la plupart des villes d'importants travaux publics et de réhabilitation de l'habitat. Il s'appliqua à embellir sa résidence et rendit à Constantine, l'antique Cirta, son cachet de capital en la dotant dès 1775 d'édifices tels que la mosquée Sidi El Kettani et la belle medraça Sidi Lakhdar. Vers 1792, Salah bey, assisté par l'architecte et maître d'œuvre Mahonnais, Don Bartholoméo, fit relever de ses ruines le fameux pont romain d'El Kantara de Constantine (Kantara signifie pont en arabe). La multiplication des réseaux routiers, l'édification de nouveaux établissements scolaires et religieux, la réorganisation de l'enseignement, la fondation de nouvelles institutions sociales, administratives, législatives et commerciales furent son œuvre ainsi que le développement agricole dans les compagnes en créant de vastes plantations grâce aux concessions accordées aux fellahs. Unificateur et proche du peuple, il arbitra les différentes querelles entre arabes et turcs. Quant à la communauté juif, jusqu'alors mêlée à l'ensemble de la population, il les parqua dans un quartier à part, le "chara" (d'autres sources laissent supposer que cette initiative fut demandée par la communauté juive). Bouna et sa banlieue eurent aussi leurs parts de travaux et d'embellissent. Salah bey lança une compagne de défrichement et d'assainissement de la plaine en déversant ses eaux dans la Seybouse. C’est ainsi qu'il rendit une partie de la compagne salubre et cultivable et créa le domaine de Zerizer. Partout, il poussa à la construction de moulins, en concédant, avec facilité la distribution de l'eau aux particuliers. Au sommet de sa puissance, Salah bey est brutalement rattrapé par les intrigues et les conspirations du pouvoir central. Hassane Pacha, le nouveau dey d'Alger (1791-1797), inquiet de la prépondérantes de ses beys jugea indispensable de mettre un terme à leurs velléités d'indépendance. C'est pourquoi il décida le remplacement de Salah, bey de Constantine, et de Mostafa El Ouznadji, bey du Titeri (Médéa). Ce dernier, ayant appris la nouvelle, pris aussitôt la fuite. Il fut remplacé par Mohamed Ed-Debbah. Le beylik de l'est fut, quant à lui, donné au Turc Ibrahim, dit "Bou Sbaâ", alors Qaïd du Sebaou. Celui-ci, accompagné de sa cavalerie, arriva le 16 août 1792 à Constantine sans se faire annoncer. Salah bey, pris au dépourvu, n'eut donc pas le temps d'organiser sa résistance. Il se réfugia alors dans son palais, entouré de ses "Zbantia" (soldats turcs formés de célibataires). Mais dans la nuit du 20 août, durant les négociations entre les deux belligérants, des fonctionnaires du beylik, fidèles au précédent bey, s'emparèrent d'Ibrahim et l'assassinèrent. Ce meurtre aurait été, selon divers sources, commis à l'insu de Salah bey. Néanmoins, ce dernier n'hésita pas à ordonner la liquidation des compagnons d'Ibrahim, dont un seul échappa à la mort. Résolu à tout pour conserver le trône, Salah Ben Mostafa réunis ses partisans et rentre en rébellion contre Alger. Dans le même temps, quiconque était soupçonné d'inimitié et même de tiédeur, était aussitôt mis a mort. Mais la plupart des chefs des tribus voisines hésitent à prendre les armes et à tenter l'aventure à ses côtés. Ne voulant prendre aucun risque, ces derniers attendirent la suite des événements. Pendant ce temps, Hassane pacha reçu la visite d'un certain Hassaïne, fils de l'ancien bey de Constantine, Bou Haneq, qui avait échappé à la fureur de Salah bey vingt années auparavant. Nourri par un farouche sentiment de revanche sur son persécuteur, Hassaïne promis à Hassane pacha la tête de Salah bey. Aussi le dey s'empressa-t-il de le nommer bey de l'est. Sans tarder, il l'envoya à Constantine à la tête d'un bataillon pour mater la rébellion. Arrivés aux portes de la ville, on parlementa et, lorsque la proclamation du dey se fut répondue, les pro-Hassaïne se précipitèrent vers la porte Bab El Ouad et l'ouvrirent aux janissaires. Aussitôt, une foule en délire se rue vers Dar El bey, où Salah, entouré de quelques amis fidèles, tente l'ultime résistance. Capturé dans sa fuite, on le charge de chaînes au cou et aux mains et on le met dans la prison de la Qasba en attendant l'arrivé du nouveau bey. Le 25 août, Hassaïne-bey fit son entré à Constantine, sans la moindre opposition. Aussitôt, on fit main basse sur la fortune de Salah-bey. En même temps les exécutions des ses sympathisants et de ses proches collaborateurs, dont le Qaïd de la Qasba de Bouna, commencèrent : tous périrent roués vifs, étranglés ou décapités sur la place publique. Quant à Salah Ben Mostafa, il vit, dans la nuit du premier au deux septembre 1792, des chaouchs munis du lacet traditionnel entrer dans son cachot et fut étranglé par eux. Son corps, rendu à sa famille, fut inhumé dans la medraça de Sidi El Kettani où il repose encore. Telle fut la fin de cet homme dont la figure domine celles de tous les beys de l'est. Il tomba victime du système de suspicion et de spoliation qui vouait les gouverneurs turcs à un sort presque toujours misérable. Quant à sa rébellion finale, caractérisée par le meurtre d'Ibrahim, personne ne peut l'excuser, et l'autorité à Alger ne devait le tolérer.

Annaba - Jamaâ El Bey et la légende de la Mlaya
mlayaA Annaba, outre les travaux d'utilité publique, Salah bey fit construire une modeste mosquée baptisée "Jamaâ Salah Bey" en bordure de la place Sidi Chraïet (Place d'Armes). Du fait de la rivalité entre Turcs (rite hanafite) et Arabes (rite malakite), il l'a fit surmonter de deux minarets : l'un sobre, coiffé d'un dôme conique de style ottoman, l'autre de type maghrébin avec une tour au plan carré. Elle fut inaugurée le 18 août 1792, treize jours seulement avant la mort de Salah bey. Depuis, celle-ci ne fut plus la mosquée de "Jamaâ Salah Bey" mais seulement "Jamaâ El Bey" (la mosqué du Bey), assortie, paraît-il, d'une interdiction aux Arabes d'y prier. En 1796, l'un des successeurs de Salah bey fit décapiter le minaret de style maghrébin. Jamaâ El Bey, qui est resté au rite hanafite jusqu'en 1832, fut restauré après l'arrivée des Français. On lui ajouta une façade à arcades et un minaret au plan carré, de style maghrébin, doté d'une horloge (ci-contre). Cette mosquée est l'un des rares édifices d'Annaba qui a conservé son authenticité arabo-ottomane précoloniale, excepté la façade extérieure. Le plus grand soin devrait donc s'imposer. La légende populaire attribue à la mort de Salah bey le recours au port du voile noir par les femmes de l'est algérien. En signe de deuil, les citadines auraient abandonné, leur "haïk" traditionnel (voile blanc) au profit de "la mlaya", un voile noire et ample, porté avec un fichu blanc masquant le visage, "laâjar" (ce VOILE traditionnel, que certaines femmes se couvrent tout le corps de nos jours encore, a au moins le mérite d'être d'origine ALGERIENNE...). On doit aussi à cette histoire la fameuse chanson populaire dédiée à Salah bey en guise de désobéissance civile à l'autorité d'Alger : "Galou laârab galou… la naâtiou Salah ou la malou… la nougtalou… ou tihou lergab âla lergab…" (Ils ont dit les Arabes, ils ont dit… nous ne donnerons ni Salah ni sa fortune… nous ne le combattrons pas non plus… même si les têtes doivent tomber les unes sur les autres…).

"Salah bey", une complainte brillamment interprétée ici par El Hadj Mohamed Tahar Fergani, le chantre Constantinois du Malouf algérien.

Fergani - "Salah Bey" - 13:13' note
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